MÉTIERS ET TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
L’industrialisation du système de construction écologique: métiers et activités professionnelles émergentes.
Daniele DI NUNZIO (Association Bruno Trentin –ISF-IRES, Italie)
Emanuele GALOSSI (Association Bruno Trentin –ISF-IRES, Italie)
Serena RUGIERO (Association Bruno Trentin –ISF-IRES, Italie)
La transition vers une économie verte conduit à une transformation non seulement des modèles d’organisation de la production et du travail, mais aussi des catégories d’emploi traditionnelles. Les processus d’innovation technologique durable enrichissent les activités de travail de nouvelles significations et de nouveaux contenus. Ils exigent aussi une adaptation continue de l’ensemble des compétences requises, favorisant ainsi la diffusion de profils qui doivent progressivement redéfinir leurs savoirs et pratiques.
En particulier, la nécessité de décliner la profession en conformité avec les principes de la durabilité, d’un côté, détermine une croissante demande d’emplois spécialisés et la nécessité d’une mise à jour constante des compétences requises et, d’autre part, induit à franchir le seuil rigide de leur périmètre technique-spécialisée pour incarner des valeurs et des sensibilités de caractère plus systémique et transversal, à partir de celle pour l’environnement.
Dans cette contribution, nous explorons les frontières existantes entre les groupes professionnels «nouveaux» ou «traditionnel» dans le domaine de l’économie verte afin d’aider à la définition des compétences et métiers verts émergents.
Nous présentons les principaux résultats d’une enquête sur les changements produit par l’industrialisation du système de construction écologique sur les métiers et les professions traditionnelles. L’étude met en évidence la correspondance entre les changements du cycle productif dans l’industrie du bâtiment et la structure des compétences. Notamment, la construction écologique conduit à des nouvelles relations entre l’industrie et le chantier, entre la production artisanale et industrielle, avec des répercussions sur tous les groupes professionnels.
MOTS CLÉS :Transition énergétique, constructions écologiques, innovation, emplois écologiques, développement durable.
Les professionnels du bâtiment face à l’enjeu de performance énergétique : des recompositions des savoirs, compétences et pratiques en question.
Géraldine MOLINA (docteur en Géographie, Aménagement de l’espace – Urbanisme ; post-doctorante à École Centrale de Nantes /IRSTV CNRS 2488)
Marjorie MUSY (docteur en génie civil ; chercheur au CERMA /ENSAN – UMR CNRS 1563, Directrice adjointe de l’IRSTV.
Notre contribution propose d’explorer la fabrique concrète de la performance énergétique à l’échelle du bâtiment et se situe donc au point de rencontre de problématiques relevant de la sociologie de l’énergie, de la sociologie des professions et de la sociologie du travail. Il s’agit d’interroger la manière dont les acteurs de la chaîne du bâtiment se saisissent de cet enjeu de la performance énergétique et tentent de l’intégrer dans leurs pratiques professionnelles. Ce sont donc les logiques de renouvellement des savoirs et savoir–faire professionnels, les dynamiques d’apprentissage qui sont mises en question : quels sont les problèmes, les verrous que ces acteurs rencontrent sur le terrain et quelles sont les ressources qu’ils mobilisent pour faire évoluer leurs compétences et conjuguer cet impératif de la performance énergétique avec d’autres enjeux de la production des bâtiments ? Comment l’injonction à la performance contribue-t-elle à faire évoluer les territoires des professionnels engagés dans la fabrication et la gestion des bâtiments (métiers traditionnellement présents, arrivée de nouveaux acteurs, etc.) ? Quelles dynamiques interprofessionnelles de concurrence et de coopération s’observent entre ces acteurs ? Comment le point de vue des habitants, leurs modes de vie et leurs usages de l’énergie sont-ils intégrés par les fabricants et gestionnaires des bâtiments ?
Pour apporter des pistes de réponse à ces questionnements, nous présenterons les résultats d’une enquête exploratoire menée en France sur un échantillon de professionnels réputés « innovants », « pionniers », « exemplaires » en matière de performance énergétique (c’est-à-dire identifiés comme tels par leurs confrères et les autres professionnels avec lesquels ils interagissent) et qui appartiennent à différents maillons de la chaîne du bâtiment (maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, concepteurs, artisans, acteurs de la maintenance, etc.). L’analyse de leurs trajectoires et démarches individuelles, de leurs retours réflexifs sur leur production, et de leurs stratégies de positionnement sera mise en perspective avec les résultats d’autres enquêtes récentes menées sur des professionnels plus « ordinaires ». Il s’agira ainsi de fournir des clés de lecture sur les situations et contraintes de travail effectives, d’identifier les caractéristiques des pionniers et les facteurs facilitant l’évolution des compétences professionnelles et l’intégration de question des modes d’habiter dans le travail des professionnels autour de la performance énergétique.
MOTS CLÉS :situations de travail, dynamiques interprofessionnelles, malaise professionnel, ressources, approche multicritères.
Dépendance, indépendance et interdépendance : une lecture socio-agronomique de l’engagement (ou non) des agriculteurs biologiques dans la transition énergétique.
Sabine GIRARD (UR Développement des Territoires de Montagne, Irstea Grenoble)
Hugues VERNIER (Communauté de communes du Val de Drôme / Biovallée).
Le développement de l’agriculture biologique (AB) apparait dans de nombreux scénarios prospectifs comme un facteur clef de la transition énergétique des territoires ruraux, en raison de la non-consommation de fertilisants chimiques, mais également au regard des évolutions des modalités de relations entre l’agriculture, la nature et la société qu’il peut induire. Une telle transition suppose l’évolution des pratiques des agriculteurs et plus généralement des acteurs des systèmes agri-alimentaires. Cependant, les conditions et les processus de tels changements sont très peu documentés, alors que cette connaissance est requise par les pouvoirs publics pour concevoir des leviers d’action.
Cette étude exploratoire vise à mieux comprendre l’évolution des pratiques de gestion de l’énergie des agriculteurs en mode de production biologique : comment advient le changement et pour quelles raisons ? Elle répond à la demande opérationnelle d’une collectivité locale qui s’interroge sur la façon d’accompagner la transition agro-énergétique de son territoire (vallée de la Drôme-Biovallée). De multiples trajectoires et une diversité de raisons conduisent à l’engagement d’exploitants dans l’agriculture biologique. Le passage à l’AB peut constituer un simple ajustement des pratiques productives ou bien être vécu comme un changement radical de l’activité, du métier, du mode de vie de l’agriculteur. Qu’en est-il concernant la gestion de l’énergie dans un contexte d’injonction croissante à la transition énergétique ? L’étude vise en particulier : (i) à documenter la multiplicité des justifications des pratiques de gestion de l’énergie des agriculteurs ainsi que la diversité des trajectoires et des facteurs d’évolution de ces pratiques et (ii) à caractériser les tensions et les complémentarités entre les engagements dans l’agriculture biologique d’une part et dans la transition énergétique d’autre part. Pour ce faire, une enquête par entretiens semi-directifs a été menée auprès de vingt agriculteurs en mode de production biologique situés dans la Biovallée, concernant leurs parcours et leurs motivations personnels, les systèmes de pratiques au sein de l’exploitation agricole et leurs évolutions, les relations avec les filières et le territoire.
L’analyse des résultats est en cours. L’objectif de cette communication est de discuter de l’intérêt et de la pertinence des notions de dépendance, d’indépendance et d’interdépendance pour comprendre les processus et les conditions des évolutions de pratiques agricoles en matière énergétique. Cette clef de lecture permet en particulier d’explorer les articulations entre les espaces et les échelles de gestion de l’énergie tels qu’ils sont perçus et investis par les agriculteurs. Elle permet d’appréhender la façon dont les exploitants lient l’enjeu énergétique à un ensemble d’autres enjeux, dont ceux économiques, identitaires, écologiques. Elle permet enfin d’analyser les pratiques et les perceptions des agriculteurs en matière énergétique au travers du prisme plus large de l’évolution des rapports de l’individu au collectif, de l’homme à la nature, de l’agriculture à la société et à l’environnement.
MOTS CLÉS : énergie, agriculture biologique, perception, pratique, autonomie.
ACTEURS PROFESSIONNELS INTERMÉDIAIRES
La construction du bâtiment à hautes performances : quelles mutations organisationnelles pour les organismes Hlm ?
Farid ABACHI (Union Sociale de l’Habitat)
Depuis la Palulos (prime à l’amélioration des logements à usage locatif social) jusqu’aux récentes dispositions législatives (Grenelle de l’environnement, projet de loi sur la transition énergétique), soumis aux injonctions des réglementations thermiques successives et intégrant les démarches conduites dans le cadre des politiques de la ville (DSQ, HVS, PNRU…), les organismes Hlm ont conduit des opérations de réhabilitation de leur patrimoine, visant une amélioration significative des performances énergétiques et environnementales. Cependant, la mise en place du « bâtiment performant » a été en partie subie par les organismes Hlm, dans la mesure où l’évolution des performances a été appelée par celle de la réglementation (abaissements successifs des consommations maximales autorisées), et non pour répondre aux besoins et attentes des locataires – bien que dans le même temps, les bailleurs aient engagé des actions de maîtrise des charges locatives et des consommations énergétiques, après avoir constaté les difficultés croissantes des ménages à payer leur quittance. Si cette double entrée réglementaire et économique a dans un premier temps impacté les métiers de la maîtrise d’ouvrage (par la formulation des niveaux d’exigences et de rendement à atteindre et par la définition de nouvelles relations avec les autres acteurs du bâtiment), elle s’est progressivement étendue aux autres métiers (gestion patrimoniale, gestion locative et gestion sociale), en particulier par :
- La sélection d’équipements à installer, dont la multiplication et la complexité croissante ont nécessité une montée en compétence des collaborateurs et une reconfiguration des conditions d’entretien, pour l’atteinte des performances prévisionnelles et leur maintien ;
- la définition de prestations à inclure dans une offre locative sociale et les modalités de leur contrôle ;
- la prise en compte progressive de la place des habitants (actions d’accompagnement et de sensibilisation aux dispositifs de maîtrise de la demande en énergie).
Cette contribution propose de rendre compte des modalités de construction de la catégorie « bâtiment performant à haute maîtrise énergétique et à faibles consommations » dans le logement social, par l’analyse des relations entre acteurs (services internes, intervenants externes, groupes de locataires…), de leur positionnement respectif, de l’évolution observée des savoir-faire et des configurations organisationnelles mis en place au sein des organismes Hlm pour la réalisation d’opérations expérimentales (bâtiments passifs, à énergie positive, à faible empreinte carbone…), au regard des prochains objectifs et attendus réglementaires, sociaux et sociétaux (« bâtiment responsable » 2020…).
MOTS CLÉS : logement social, performances énergétiques, maîtrise des consommations, organisations, métiers.
Les auxiliaires du marché de l’énergie, une approche par deux groupes professionnels du conseil en économie d’énergie.
Joseph CACCIARI (doctorant en sociologie Université Aix-Marseille / LAMES, UMR 73 05)
Dans cette communication, je m’intéresserai aux dispositifs visant à faire participer les ménages à la « transition énergétique » en termes de consommation d’énergie domestique. Si on définit la transition énergétique comme un déplacement du mix énergétique au profit de sources d’énergie non carbonées et d’une réduction des volumes consommés, il y a lieu de s’interroger sur l’intérêt que trouvent les industriels historiques du marché de l’énergie à s’y engager. En réalité, cet effet à la baisse des volumes consommés est accepté par ces acteurs dans la mesure où ils sont assurés de bénéficier d’un effet d’augmentation des prix et de la sécurisation de leur production, pérennisant ainsi la rente qu’ils tirent de leur activité. Cette situation n’est donc pas gênante pour eux, puisqu’ils gagneront là ce qu’ils perdront ailleurs. Pour faire accepter aux ménages cette baisse de la consommation pour une facture qui elle reste stable ou augmente, les opérateurs historiques du secteur de l’énergie et l’État français mettent en œuvre des dispositifs visant à augmenter leur consentement. Le signal prix est en effet insuffisant pour entraîner des changements dans les habitudes de consommation et faute de voir les volumes d’énergie consommés effectivement baissés, c’est la production qui pourrait être menacée de rupture.
Pour examiner ces dispositifs, j’ai choisi de comparer deux groupes d’auxiliaires du marché de l’énergie porteurs de conseils en économies d’énergie et en rénovation thermique au contact des ménages : des Conseillers info énergie et des médiateurs sociaux en énergie. Les premiers travaillent dans le giron de l’État, via la tutelle de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Ils s’adressent à des ménages issus des classes moyennes ou des classes aisées. Les seconds interviennent auprès des classes populaires ou des populations relevant régulièrement de l’assistance sociale. Ils sont salariés d’associations financées en partie par les industriels historiques du secteur de l’énergie. Ces deux groupes peuvent être apparentés à des « commerciaux » au sens où ils tentent d’augmenter le consentement des ménages à engager des rénovations thermiques de leur logement ou à payer des factures toujours plus élevées malgré parfois une baisse effective des consommations. Ces commerciaux participent volens nolens d’une action publique déléguée en matière de solvabilisation de la clientèle et de la gestion commerciale des changements en cours dans le marché de l’énergie. L’originalité de cette comparaison, réside dans le fait qu’elle mettra en évidence la division du travail de consentement entre l’État et les groupes industriels. On observera alors qu’à rebours d’une représentation spontanée l’État prend en charge les ménages sans difficulté apparente, alors que les industriels investissent auprès des populations fléchées comme en difficultés ou en risque de l’être. Mon argumentaire s’appuiera principalement sur des matériaux issus d’observations directes du travail de ces groupes professionnels.
MOTS CLÉS :énergie, consommation, consentement, groupes professionnels, marché de l’énergie.
Entre logiques de conception et d’occupation : les « acteurs intermédiaires » de bâtiments tertiaires performants
Sarah THIRIOT (doctorante en sociologie – UMR PACTE, Grenoble ; EDF R&D – GRETS)
Le parc de bâtiments tertiaires français est visé par un ensemble d’outils de politiques publiques (réglementation thermique, contrat de performance énergétique, annexe verte) pour favoriser la réduction des consommations énergétiques. Ces dispositifs entraînent des mutations complexes, qui touchent aussi bien les investisseurs et les professionnels du bâtiment que les occupants. Face aux difficultés à atteindre les objectifs de performance énergétique, les acteurs opérationnels (société foncière, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, assistance à maîtrise d’ouvrage…) cherchent à faire évoluer leurs compétences et l’organisation des projets immobiliers durant les phases de conception et de mise en œuvre des travaux. Mais au sujet de la phase d’exploitation et de ses surconsommations d’énergie, c’est souvent la seule figure de « l’occupant » qui est exposée comme facteur d’imprévisibilité et de perturbation irrationnelle face à une approche techniciste du bâtiment.
La communication propose, en mobilisant la notion « d’acteurs intermédiaires », de mettre en lumière des professionnels qui participent à la phase d’occupation du bâtiment : c’est le cas des gestionnaires techniques qui effectuent la maintenance et des aménageurs d’espace de travail. Ces deux activités, dont la place est peu institutionnalisée dans le système d’acteurs de la conception du projet, façonnent pourtant très largement l’environnement de travail quotidien des occupants (réglage des systèmes de chauffage et ventilation, formalisation des espaces, etc.). Les évolutions en faveur de la performance réelle (CPE) et des certifications « en exploitation » (Breeam-In-Use, NF HQE Bâtiments Tertiaires en Exploitation) semblent d’ailleurs plaider pour une revalorisation de ces métiers.
Derrière des problématiques étudiées au prisme des occupants, comme le confort, la communication montre l’intérêt d’opérer une remontée des questions d’usages vers une approche organisationnelle du projet de performance énergétique autour de ces professionnels peu étudiés. Ils apparaissent pleinement comme des acteurs intermédiaires, à l’interface entre différentes logiques d’usagers du bâtiment (constructeur, architecte, société foncière, occupant) et différentes logiques organisationnelles (conception, usage), qui peuvent se trouver en tension. Cette perspective invite à comprendre les enjeux que ces activités représentent pour l’atteinte d’une performance réelle et l’appropriation des bâtiments tertiaires performants.
Ce travail s’appuie sur l’étude qualitative de plusieurs bâtiments de bureaux « performants » (observations et entretiens), et permet une analyse des liens entre conception, maintenance et occupation dans la compréhension de l’occupation d’un bâtiment performant.
MOTS CLÉS : Performance énergétique, bâtiment tertiaire, division du travail, occupants, acteurs intermédiaires.