INSTRUMENTS DES POLITIQUES PUBLIQUES (Atelier)


AXE ÉNERGIE, POLITIQUES PUBLIQUES ET TERRITOIRE

Un instrument « débordé à dessein » : vers une relecture de la dynamique des tarifs d’achat pour l’électricité photovoltaïque.

Béatrice COINTE (CNRS/CIRED)

En France comme dans plusieurs pays européens, l’instrument principal du déploiement récent du photovoltaïque connecté au réseau a été le tarif d’achat. Ce type d’incitation économique appliqué au photovoltaïque a provoqué un essor fulgurant des capacités installées, entrainant des difficultés de gestion et de régulation, comme a pu en témoigner le moratoire de décembre 2010 sur les tarifs d’achat photovoltaïques en France.
En s’appuyant sur les travaux de sociologie de l’acteur-réseau sur la mise en marché et sur la mise en politique et sur une analyse de la matérialité particulière des technologies photovoltaïques, cette communication proposera une relecture des tarifs d’achat appliqués au photovoltaïque à partir de trois études de cas. Ces trois cas portant sur différents niveaux d’analyse permettront d’éclairer différents aspects et tensions des tarifs d’achat photovoltaïques comme prix politiques: leur émergence et leur sophistication dans le cadre du développement des politiques européennes des énergies renouvelables ; leur débordement et la crise politique qu’il a entrainé en France entre 2009 et 2012 ; et enfin leur capacité à être saisis comme leviers et transformés en ressources économiques et politiques dans le cas d’un projet spécifique. On montrera ainsi qu’ils peuvent être décrits comme des agencements marchands et politiques visant autant à déployer des capacités de production d’électricité qu’à encourager l’expérimentation autour des technologies photovoltaïques. L’articulation de ce double objectif est d’autant plus délicate à gérer que la modularité des technologies photovoltaïques leur confère une capacité à proliférer et rend leur développement difficile à piloter. Cette relecture suggérera donc des pistes pour analyser la difficile régulation des marchés photovoltaïques actuels.

MOTS CLÉS : tarifs d’achat, photovoltaïque, agencements marchands, innovation, prix politique.


La rénovation énergétique des copropriétés : la construction d’une politique publique vue d’une association de copropriétaires.

Sylvaine LE GARREC (ARC/sociologue).

Représentant plus d’un quart des logements français, la copropriété est un enjeu incontournable des politiques de maîtrise de l’énergie. Cependant, dans ce secteur, les travaux d’amélioration énergétique se heurtent à des difficultés spécifiques. Les projets de rénovation relèvent en effet d’une décision nécessairement collective et les copropriétaires et les syndics n’ont pas d’emblée les compétences suffisantes pour impulser et porter des projets de travaux de grande envergure.
Face à ces obstacles, de nouveaux instruments d’action publique ont été mis en place au niveau national, notamment à travers la création d’aides financières et l’obligation faite aux copropriétés en chauffage collectif de réaliser un audit énergétique. En inscrivant la maîtrise de l’énergie à leur l’agenda, certaines collectivités locales ont également fait naître des expérimentations pour favoriser la rénovation énergétique des copropriétés.
En allant ainsi à la rencontre des problématiques propres à la copropriété, la politique de maîtrise de l’énergie a entraîné l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux réseaux locaux et nationaux. A l’interface entre le « terrain » et la construction des politiques nationales, ces réseaux contribuent à créer et à diffuser des méthodes innovantes d’accompagnement des copropriétés qui revisitent les pratiques professionnelles, font émerger de nouveaux métiers et questionnent les catégories d’action publique actuellement à l’œuvre au sein de la politique de la maîtrise de l’énergie.

MOTS CLÉS : accompagnement, action publique, copropriétés, habitat, rénovation.


Modélisation Dynamique des Systèmes de Coûts (MDSC) : une approche sociale de l’économie de la transition énergétique

Clément MORLAT (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines -UVSQ / Centre REEDS – Recherche en Économie écologique, Ecoinnovation et Ingénierie du Développement Soutenable).

Au-delà des enjeux liés à la disponibilité, à la répartition, et à l’utilisation des ressources et des produits énergétiques par et pour les activités du secteur de l’énergie, des enjeux périphériques (socio-économiques et environnementaux) influent sur la société dans son ensemble. La transition énergétique produit des effets qui intéressent les citoyens, les entreprises, les collectivités et l’Etat. D’un point de vue économique, ces acteurs sont tous – chacun à leur niveau -, à la fois bénéficiaires et financeurs des opérations de transition énergétique. Cependant, deux approches économiques sont en présence. Si la prise en compte des liens intangibles et indirects entre consommations d’énergies, productions de valeurs, environnement et société se fonde sur l’expression des acteurs, une rationalité socio-économique est nécessaire. Mais l’économie utilise par convention des outils comptables et contractuels qui relèvent d’une logique plus normative. La conciliation entre ces deux rationalités pourrait permettre une évolution des cadres économiques susceptible d’améliorer conjointement la rentabilité interne des projets de transition, et les effets socio-économiques et environnementaux de ces projets pour la société.
Dans un premier temps, le papier comparera deux approches économiques de valorisation des effets sociétaux des projets de transition. L’une considère des « externalités positives » dont l’internalisation peut améliorer l’équilibre économique des projets. L’autre considère des avantages sociaux, économiques et environnementaux dont une « coproduction » peut être contractualisée entre les acteurs du territoire et les porteurs du projet. Dans un second temps, le papier s’intéressera au glissement qui s’opère entre ces deux approches, c’est-à-dire depuis une valorisation transitive et agrégative au niveau local, vers une contractualisation des performances structurelles et fonctionnelles d’un système sociotechnique de production constitué à l’échelle du territoire. Enfin, le papier présentera la Modélisation Dynamique des Systèmes de Coûts (MDSC) qui permet de représenter les flux d’informations et de capitaux utiles à la reconnexion socio-économique entre filière énergétique et territoires. Le papier illustre le fait que l’information économique doit conserver en elle les représentations que se font les acteurs de la valeur des projets de transition, en intégrant des données sociétales dans une information économique multicritère, au lieu d’agréger ces dernières dans un signal financier.

MOTS CLÉS : Transition Énergétique, Économie Sociale, Économie de Fonctionnalité, Économie Circulaire, Comptabilité.


Transformation de la fiscalité des carburants : transition énergétique ou fiscale ?

Marianne OLLIVIER-TRIGALO(Université Paris-Est/LVMT).

Le PLF 2014 a introduit une composante carbone dans la TICPE. Après plusieurs échecs de l’introduction d’une contribution climat énergie sur les énergies fossiles (2000, 2009), le vote discret de cette mesure donne l’occasion de s’intéresser aux « pilotes invisibles de l’action publique » (Lorrain, 2004) et de tester l’hypothèse selon laquelle les transformations des politiques publiques sont davantage perceptibles à travers leurs instruments que leurs objectifs. Ici, la transformation de l’instrument fiscal sur les carburants met en lumière les balbutiements d’une politique environnementale appliquée au secteur routier. Cette dernière s’appuie sur la solidité d’une politique fiscale éprouvée (la TIP a été instaurée en 1928 pour organiser la raffinerie ; le choix ancien de taxer la consommation a été conforté par la suite avec l’instauration de la TVA en 1954), dans un contexte où les dépenses publiques sont érigées en problème politique que les instruments de recettes viennent résoudre en partie.
Ce résultat peut être assez directement attribué aux travaux du Comité pour la fiscalité écologique institué le 18 décembre 2012 (par la ministre Delphine Batho) à la suite de la première Conférence environnementale et présidé par Christian de Perthuis (professeur d’économie à Paris-Dauphine, Chaire Économie du Climat). Mais, cette mesure ne correspond que partiellement aux travaux du comité et aux recommandations endossées par son président. Ce dernier, en effet, avait proposé de transformer la structure de la TICPE en adjoignant à la composante carbone un mécanisme de rapprochement de l’écart de taxation entre le gazole et l’essence, au motif que celui-ci ne se justifiait plus au regard d’objectifs environnementaux. Cette dernière mesure fait figure de serpent de mer dans le monde du transport routier mais l’introduction de la composante carbone lui donne un tout début de concrétisation (le taux appliqué au gazole est supérieur à celui de l’essence).
Cette communication propose de revenir sur le processus qui a permis ce rapprochement (au moins partiel), en particulier en mettant en lumière comment les protagonistes ont dû opérer quelques compromis pour ajuster leurs logiques d’action aux formats du Budget, ce dernier ayant la main (technique mais aussi politique) sur la fiscalité. Ces compromis ont notamment porté sur la contradiction intrinsèque à la fiscalité environnementale : rendement et acceptabilité de l’impôt vs incitation au changement de comportement. Les choix opérés pour régler cette contradiction questionnent la transition visée : énergétique ou fiscale ? En effet, la transformation de la TICPE est venue abonder le financement du CICE (annoncé comme une réforme fiscale) avec un taux de la tonne de carbone relativement faible par rapport à des objectifs environnementaux et un rythme d’évolution plus lent que celui souhaité par les ONG environnementales. Dans le même temps, utiliser une taxe existante plutôt que d’instituer une taxe nouvelle a garanti l’introduction d’une fiscalité sur le carbone en France. Celle-ci a bien été reconduite dans le PLF 2015, survivant au comité (le président a démissionné en octobre 2014) et à la succession des ministres de l’Écologie (4 depuis mai 2012).
Cette analyse s’appuie notamment sur une enquête par entretiens semi-directifs réalisés auprès de la plupart des membres du comité (17 personnes interrogées entre avril et septembre 2014), dont la composition reprend le format des groupes du Grenelle de l’environnement (ONG, employeurs, salariés, collectivités territoriales) auquel des parlementaires ont été ajoutés (députés, sénateurs, députés européens). Un binôme étatique (Écologie et Finances) a assuré le secrétariat général du comité. Enfin, le président a associé quelques experts universitaires pour l’aider dans sa tâche d’animation.

MOTS CLÉS : Fiscalité écologique, carburants, composante carbone, instrument d’action publique.


L’utilisation des fonds européens pour le financement de la rénovation énergétique de l’habitat en France.

Laura VANHUE (Consultante indépendante).

La place prépondérante que prend l’efficacité énergétique dans les politiques publiques nationales et européennes oblige à s’interroger sur la capacité des financements publics à traiter les énormes gisements d’économies d’énergie identifiés dans le secteur du bâtiment, et en particulier dans celui du logement du logement.
L’objectif de massification de la rénovation énergétique de l’habitat incite aujourd’hui les acteurs publics à proposer aux territoires des dispositifs visant la structuration d’une offre de service adapté à cet enjeu.
Dans ce contexte, le financement constitue une dimension d’autant plus déterminante qu’il doit garantir l’accès au financement de la rénovation énergétique aux ménages les plus modestes les plus concernés par les risques de précarité énergétique.
Les limites et faiblesses de la plupart des dispositifs et programmes aujourd’hui d’incitation à la rénovation énergétique de leur logement par les ménages ont été clairement mises en évidence:
- Ils sont insuffisants à accompagner le « passage à l’acte » des ménages vers le choix d’un scénario de travaux ambitieux,
- Ils sont dans l’impossibilité de traiter l’augmentation du nombre de dossier dans une perspective de massification,
- L’accompagnement financier est le plus souvent limité aux subventions et rarement étendu à des offres de financement bancaires.
Le développement récent de dispositifs de services intégrés de la rénovation énergétique participe à la mobilisation des acteurs publics dont la valeur ajoutée est notamment :
- d’articuler les différents niveaux d’action national, régional et local mais aussi européen,
- d’avoir un effet levier des aides publiques
- rapprocher l’offre de la demande
- mobiliser la filière de la construction qui sur le segment de la rénovation est surtout constituée par de PME locales
Dans ce contexte l’analyse de l’effet levier des financements européens notamment du fonds FEDER trouve toute sa pertinence. En effet, la rénovation énergétique des logements fait partie des principales priorités de la période de programmation 2014-2020 du Fonds Européen pour le Développement Régional retenues par les Conseils Régionaux. Certaines régions envisagent d’orienter cette ressource vers des instruments financiers dans le but de générer des formes renouvelables de financement et rendre plus efficace le recours aux ressources publiques. L’objectif proposé est la complémentarité des interventions sur les différents segments du parc de logements et l’optimisation des plans de financement en associant prêts remboursables et subventions, dans l’optique de concentrer les aides publiques sur les ménages qui en ont le plus besoin et avec le plus gros effet d’entrainement possible.

MOTS CLÉS : Financement, rénovation énergétique, fonds européens, services intégrés, accessibilité.